texte de Myriam El Ayadi
Quoi de plus privé que votre corps? Et pourtant, moi, j'en ai fait un objet public. Les hommes viennent y déverser leur trop plein ou parfois plutôt essayer d'y combler un vide. Une sorte d'abîme pour certains, une sorte de réservoir pour d'autres. Allez comprendre. Et pour moi? Ce n'est plus rien. Ma raie est devenue publique et moi je me suis faite pudique, absente, effacée. Oh, je ne me plains pas; je ne vis pas écrasée sous le poids de ces déjections informes et sans nom, je ne mens pas trop pleine de ces bouts de rebus bêtement barrés là avec abus; non, je suis au delà, au-dessus, ailleurs. Ce monde ci ne me dit guère. J'ai laissé la société et notre chère République à ceux qui croient que la pensée nous est donnée à dessein. Non, moi, j'ai pris l'arrêt final, l'arrêt public de ce train que nous prenons tous sans savoir où il nous mène. Je suis descendue et depuis j'erre, sans but, sans plan ni projet. Je m'évade dans mes rêves et n'en reviens jamais même quand ils me secouent, même sous leurs crocs parfois trop acérés. Et croyez-moi c'est tout un art que de savoir rester en dehors, n'être d'aucun camp. Et pourtant me direz-vous l'art est public, il est foule et donc ma passion doit être partagée. Mais je ne puis le voir parce que les brumes m'envahissent et me brouillent la vue. Tous ne sont que formes informes et floues se mouvant avec hâte vers un havre où l'ennui ne sera pas. Pascal avait tort. Ou bien je ne suis pas humaine.